Un cadre en décor -5-

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J’essaie de me renseigner sur les postes vacants et je me rends compte qu’il est difficile d’en obtenir la liste. Tout est jalousement gardé et les postes semblent être attribués en petite commissions internes en fonction des vœux que les managers ont bien voulu faire remonter.

Lors d’une réunion en compagnie des ressources humaines, nous avons l’occasion de faire une foire aux questions anonyme. J’ose alors écrire sur mon petit post-it « pourquoi certains postes sont attribués en sous-marin et ne paraissent jamais sur l’intranet de l’entreprise ? ». Les intervenantes répondent à nos questions les unes après les autres, on arrive à la mienne et je sens un peu d’embarras.

« Ce n’est pas une attribution en sous-marin. Nous réalisons régulièrement des commissions d’attribution de poste en fonction des vœux des salariés pour la France et l’international. Dès qu’un profil semble correspondre à nos attentes nous n’allons pas chercher plus loin. Vous pouvez faire modifier vos vœux à tout moment de l’année par votre manager même s’il est d’usage de le faire lors des entretiens individuels annuels. Effectivement cette procédure peut sembler opaque mais sachez que si vos vœux nous sont remontés alors votre profil est étudié lors d’une commission dès qu’un poste correspondant à votre demande se présente »

Je profite donc de l’entretien annuel en fin d’année pour déposer mes vœux : rester commercial sur une autre région pour me faire une nouvelle expérience. J’ose demander un entretien avec les ressources humaines pour faire un point individuel sur mon évolution de carrière. Personne ne donnera suite à ma demande.

Je travaille actuellement sur deux départements, le secteur n’est pas éloigné de mon domicile et je fais partie des commerciaux chanceux qui peuvent rentrer chez eux tous les soirs. Je ne suis hébergé à l’hôtel que lors de mes déplacement au siège, deux à trois fois par an. J’apprécie ce confort quotidien qui me permet de laisser sur le paillasson quelques tracas le soir en rentrant, même si je reconnais que je ne suis pas capable de laisser complètement mon métier derrière la porte d’entrée de l’appartement. Certains de mes collègues le disent, ils rentrent chez eux et oublient tout. Je les envie parfois de pouvoir retrouver leurs problèmes de prix, de logistique, ou techniques le lendemain matin lorsqu’ils s’en vont après avoir profité de moments calmes et sereins entourés des leurs. Je n’en suis pas encore capable, un jour peut-être.

Au mois d’avril 2011, nous saluons le départ d’un collègue qui n’était pas apprécié de tous et le chef l’a poussé à changer de région. Je ne suis pas mécontent de son départ je dois le reconnaître, nos relations étaient relativement froides depuis que j’ai constaté qu’il était prêt à tout pour atteindre ses objectifs, y compris dépasser les frontières de son secteur pour récupérer quelques affaires qui auraient dû me revenir. Mais j’imagine que c’est un peu le lot de tous les commerciaux : tenter de tirer la couverture à soi pour pouvoir se mettre en avant. Décidément il m’en reste des choses à apprendre.

Pas de recrutement en externe, le poste ne sera même pas publié en interne tant il y a de postes à pourvoir partout en France. Il occupait un secteur limitrophe au miens, et je me retrouve à récupérer la gestion de son ancien secteur et de ses clients. Je m’exécute dans mon nouveau rôle tentant de préserver les clients qui me suivent et me sont fidèles d’un côté, et de développer un nouveau business de l’autre.

Les journées ne se sont pas rallongées d’autant malheureusement mais mes horaires de travail, eux, ont commencé à pulvériser des records. Je ramenais chez moi l’ensemble de mes problèmes et du travail pour la nuit et parfois le week-end. Je vois bien que ma femme ne supporte pas la situation mais je suis trop angoissé par mon travail pour pouvoir me résigner à relâcher la pression et prendre du recul. Je m’enferme donc régulièrement dans mon bureau pour tâcher de répondre à toutes les demandes qui me tombent dessus et que je n’arrive pas à traiter dans un délai qui me parait raisonnable à mon sens.

Je ne tiens pas le rythme longtemps, courant juin, je me sens de plus en plus loin de tout : ma famille, mes amis, mon métier, je m’acharne mais plus rien n’avance, je ne dors plus la nuit et seules les cigarettes qui me tiennent compagnie dans la journée m’apportent encore un peu de réconfort. Le diagnostic est vite établi, il semblerait que je sois en dépression : arrêt maladie. Je reprendrai le travail après les congés d’été fin août.

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